Christophe Blaser
conservateur au Musée de l'Élysée
L'étude des fleurs se prête à la réflexion sur l'acte photographique. Nicolas Crispini élabore depuis 1983, une recherche sur les bouquets de fleurs fanées. Selon lui, ce sujet a l'avantage de ne pas distraire de l'essentiel et de permettre de se concentrer sur ce qui est constitutif de la photographie: le temps, la lumière, le fragment et l'espace. Il y a aussi dans la décision de privilégier une nature en train de se décomposer une volonté de se démarquer d'illustres prédécesseurs qui, comme Adolphe Braun au siècle dernier, se sont attachés à célébrer la beauté triomphante des fleurs.
Après l'œuvre monumentale de Karl Blossfeldt tendant à l'exhaustivité, Crispini préfère s'en tenir à une espèce de fleur dont il multiplie les approches. Après plusieurs tentatives avec les espèces les plus diverses – parmi lesquelles l'iris – dont il explore chaque fois le potentiel visuel, il finit par fixer son choix (ou calla lily). Il s'agit d'une fleur qui a toujours fasciné les photographes. De Man Ray, Tina Modotti, Imogen Cunningham à Robert Mapplethorpe, tous ont été sensibles à sa séduction érotique ou à sa beauté androgyne.
Photographié en gros plan, serré dans un rectangle de trois centimètres sur deux, fragmenté, l'arum fané ou desséché, n'est plus identifiable comme fleur. N'en subsiste qu'une forme ambiguë, à mi-chemin entre le muscle d'écorché et le paysage de rochers, l'animal en fuite et la simple trace. A chacun dès lors de nommer cette forme, selon les images que lui propose sa mémoire ou les associations que lui suggère son inconscient. Puis, à l'étape suivante à chacun de tenter d'imaginer la totalité perdue dont Crispini ne restitue que des fragments de cette série, dont on devine l'existence dans les numéros de négatifs manquants.
Exposition au Musée de l'Élysée, Lausanne, 1999
Expositions
Musée de l'Élysée, Lausanne
«Natura Photographica : voyage au cœur du végétal»,
Charles Johns; Joan Fontcuberta; Anne et Patrick Poirier; Heather Ackroyd et Daniel Harvey; Nicolas Crispini
janvier 1999