Extrait du texte de Véronique Mauron,
Exposition Ferme Asile, Sion
Depuis 1995, Nicolas Crispini travaille sur son ombre photographiée dans divers espaces.
Qui sommes-nous ? se constitue de 25 photographies de la silhouette de l’auteur projetée
dans la mer de Lybie, en Crète, île qui fait face à l’Afrique d’où partent de nombreux réfugiés.
Sur cette surface instable, troublée par des reflets, l’ombre devient une peau de l’eau; elle en
épouse les tremblements et les ondes. La forme humaine se corporalise d’une autre manière, plus
fragile, plus instable et acquiert ici une teneur funèbre. L’image engloutie de l’artiste rejoint
les corps des migrants qui se noient dans cette même eau.
Ce qui intéresse Nicolas Crispini dans son travail sur l’ombre, c’est le temps, celui de l’instant
de la capture de l’image en mouvement. Devenant des vanités modernes, les photographies
d’ombres expriment « la temporalité d’un humain de passage dans un lieu. Une situation. Un
instant ». Cette concrétion du temps et de l’espace révèle le changement incessant du monde.
Dans ce flux, la forme de l’artiste s’altère, se décompose, se recompose, apparaît et disparaît,
entre présence et absence.
Pour l’artiste, il ne s’agit pas véritablement d’un autoportrait.. Cette image de soi constitue
une référence générique, un autoportrait de l’humain en quelque sorte, reconnaissable et
identifiable par sa seule silhouette. Le photographe semble être englouti par l’ombre, comme
s’il avait franchi les limites de l’image.. En effet, l’ombre ne dit ici ni le masculin ni le féminin.
Elle est le portrait de personne et pourtant affiche radicalement la figure humaine.