Nicolas Crispini

Présence

1995 - en cours

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«D’ombres et d’images»

Pline l’Ancien, écrivain romain né en 23 après J.- C., a écrit que l’origine de la représentation humaine se situerait en Grèce Antique. Ce mythe raconte que la fille d’un potier de Corinthe – Dibutades – aurait dessiné sur un mur avec un morceau de charbon, l’ombre du profil de l’homme qu’elle aimait avant qu’il ne parte. L’homme meurt en voyage. L’arti­san réalise alors le modelage en terre de la tête de celui qu’aimait sa fille, à l’aide du tracé de l’ombre de son profil dessiné sur le mur.

Au début du vingtième siècle, l’ombre devient constitutive de la composition de nombreuses photographies modernes. Elle s’inscrit comme un sujet autonome et non plus comme une surface sombre, servant à structurer les lumières. Mais rares sont les peintres qui l’ont traité comme seul sujet. L’ombre est avant tout un acte photo­graphique. Lee Friedlander, dans les années 1960, fut le premier à avoir intitulé l’image de son reflet et de son ombre: Selfportrait. D’autres avant lui, comme Moholy Nagy l’ont photo­graphiée de manière plus formelle ou plus symbolique comme l’écrivain suisse Gustave Roud, dès 1920.

Dans ce travail – Présences – l’ombre symbolise avant tout un être humain à travers l’icône que forme la projection de mon corps dans des espaces urbains ou naturels. Masculine mais aussi féminine, une forme intime que chacun peut s’approprier. Simple, complexe, grotes­que, opaque ou trans­parente, déchique­tée, multi­pliée par sa projection à travers les plans successifs : une marque fonda­mentalement humaine, commune à cha­cun mais pourtant singulière.

Il est important que l’appareil photo­graphique n’apparaisse pas, au contraire de ce que la majorité des photographes ont déjà proposé, ac­cidentel­lement ou par choix. Ce n’est la présence du photographe qui est exprimée dans cette démar­che, c’est l’expérience de la tempo­ralité d’un hu­main de passage dans un lieu. Une situation, un instant. Ces photographies sont des auto­portraits, mais, depuis plus de quinze ans, c’est avant tout la tempo­ralité que j’expé­rimente. Singularité d’hom­me d’ima­ges qui traverse des territoires.
Pour seul titre : la date et l’heure de la prise de vue.


Jean-Louis Ducis, L’origine du dessin,
vers 1808, gravure sur cuivre
Collection privée, Genève